Vous lisez
nids d'oiseaux perdus dans les amandiers
que n'ai-je d'amour plus souvent mendié
de mes mains absurdes naissent les rêveurs
et la nuit s'éteint quand il est neuf heures
ici tant d'étoiles se sont donné
rendez-vous pour boire le vin des baisers
sur les lèvres nues abandonnées
lèvres des enfants âmes arasées
ô nuits sans alcool que d'ivresses lentes
j'ai connues depuis l'âge de rêver
ô nuits où la vie soudain est absente
mon corps est un puits à l'eau bien lavé
sur les champs là-bas les nuages burent
le sang âcre des aubes disparues
par-delà le temps par-dessus les murs
j'ai couru chantant au milieu des rues
et nous aurons eu tant d'espoirs nouveaux
nous aurons aimé tant d'amants ailés
parmi les forêts le long des ruisseaux
dans les granges où brûlent nos amours hâlés
je ne me souviens plus de son prénom
il avait des yeux de braise et de sang
sa peau avait la pâleur du démon
j'ai aimé me perdre en ses mots absents
nous étions à l'âge des premiers frissons
la campagne était rouge et jaune d'or
je revois encore dans le frais cresson
son corps étendu qui pleure et s'endort
il était métis et je me suis tu
quand il a quitté notre rive tendre
tant de mots sont morts dans la nuit tendue
que pouvais-je encore sinon que l'attendre
c'était à l'été des oiseaux qui dansent
mon premier amant dans le train du soir
mon premier amour de plomb d'encre dense
j'ai prié cent fois à son reposoir
plus tard j'ai revu cet enfant éclair
il avait perdu son visage clair
et je me souviens de ses mains d'eau brune
et je me souviens de son corps de lune
j'ai cherché souvent dans d'autres ivresses
sur d'autres figures les traits les caresses
les regards rougis de mon bel amant
sa douce prunelle faite de tendresse
et sa bouche sombre ainsi que sarment
j'ai bu jusqu'aux heures blanches et livides
les vins du regret et les grands lits vides
ont fait de moi ce pauvre homme égaré
dans la nuit revient la chanson humide
des premiers baisers des c½urs refermés
de ma chair j'aurai extrait quelques vers
comme ces cailloux venus de la terre
voilà qu'on les taille voilà qu'apparaît
la lumière bleue diamantifère
dans quoi se mirer et se perdre après
après les chemins sinueux des songes
après les serments qui semblaient mensonge
et nous aurons dit dans un souffle noir
les mots qu'en aveu le jour qui s'allonge
change en flammes sèches dans l'ombre du soir
souvent je nous vois dans la paille chaude
le bruit des feuillages au dehors qui rôde
je nous vois tremblants de désir et d'ambre
et nos mains nouées dans les nuées hautes
sous le ciel blanc qui nous servait de chambre
je suis hanté par le visage nu
des années plus tard de l'enfant revu
défait calciné ravagé meurtri
son visage mort ouvert comme un cri
ses mains intactes et ses yeux ingénus
sur la route un jour nous aurions pu vivre
si la vie n'était cette putain ivre
cette vieille ordure toujours qui sépare
les amants heureux comme dans les livres
et qui se déchirent sur le quai des gares
je porte dans moi depuis tout ce temps
le bleu souvenir de notre rencontre
comme une migraine un vieux mal de dent
comme une heure glacée au cadran des montres
comme un homme seul toujours qui attend
nous qui marchions sur les traces du vent
enfants comme mûres tôt cueillis les doigts
teints de rouge sang enfants beaux enfants
je sais depuis lors ce que je te dois
je le sais j'en rêve souvent si souvent
dans la nuit quand vient l'heure de sombrer
les yeux clos malgré l'aube claire je fouille
dans mes souvenirs à la fenêtre et
je nous vois frémir la main sur les couilles
le corps exultant le coeur descellé
c'est ainsi qu'est née l'intime légende
des garçons amants qui se sont perdus
dans la nuit quand vient l'heure de se pendre
aux étoiles pâles aux étoiles tendres
j'entre dans moi-même j'en ressors pour rendre
au premier amour de ma vie son dû
-
Bruxelles, 19 mai 2016