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à la fin du sixième jour
j'ai définitivement fermé
mon cahier des cris pures
je ne croyais plus en cette écriture
je me suis demandé pardon
je me suis supplié de revenir à l'essentiel
je me suis prié de ne pas mourir de chagrin
et de ne plus regarder un ciel nuageux sans cligner des cils
je me suis parlé avant de dormir
j'ai murmuré
malgré l'orage en moi
qu'il fallait s'endormir
s'oublier un peu
pour rire à nouveau
pour calmer le feu
pour rire sans défaut
aux premières rougeurs du soleil
il fallait se rendre compte
que
baptisé par la pluie
l'oiseau ne chantait plus en langue étrangère
que
au bout du sommeil
le parfum des larmes séchées
imprégnait mon identité
c'est bien lui que je respirais
c'est lui qui me faisait bailler sans retenue
quand j'étirais mes bras
pour sortir ma volonté du lit
ma volonté de mieux faire
ma volonté
enfin motivée
à cette heure du matin
où des enfants se dépêchent d'aller à l'école
alors que moi
j'attends le mien
mes voeux provisoirement à l'arrêt
j'attends
j'attends de finir d'hésiter
j'attends de ne plus être partagé
entre deux
j'attends de ne plus regretter de choisir
entre
contribuer à une ou l'autre de ces utopies
entre
la suprématie noire ou le métissage
ici
les deux me tentent
ici
les deux m'attendent
alors
je les contemple
malgré l'obsession du temps qui passe
malgré la prétention universelle au bonheur
malgré l'hypocrisie d'une petite voix intérieure
malgré les doses de politiquement correcte
dans ce monde qui part en couilles
je contemple l'attente
en manque de certitudes
j'attends peut-être pour rien
un bébé qui ne sera jamais à mon image
un bébé-divinité en quête de royauté
un bébé bien aimé qui ne reproduira pas mes instincts de survie
un ange terrien qui ne sera
qu'une part de moi
qu'une part de toi
qu'une part de nous
il faut que je le comprenne
il faut que je l'accepte
cette réalité
avant d'embrasser mon voeu de paternité
il me faudra assez d'amour
puisque la peur d'être incompris
grandit avec la haine de soi
il me faudra davantage d'amour
pour affronter les frayeurs du jour
il me faudra tellement d'amour
à conquérir
à nourrir
à murir
pour soi
pour toi
pour nous trois
oui
pour nous trois
c'est pour cela
que je veux grandir
pour nous trois
c'est pour cela
que je veux accueillir
cette idée folle
pour nous trois et plus s'il le faut
je ne veux plus tomber amoureux
pour nous trois et plus s'il le faut
je veux que l'amour tombe
je veux que l'amour tombe en nous
sur nos champs de batailles anonymes
sur le sang partagé
indifféremment
rouge comme la mort
mais
encore et toujours
rouge comme l'amour
que j'essaie à tort et toujours de plier à mon vouloir
de serrer à m'en vouloir
avant de lâcher prise
avant d'ouvrir un cahier d'esprits mûrs
ou de me remettre à prier
cent fois
puisse l'amour tomber en nous
pendant que mes yeux secs réveillés
gardent nos rêves intacts
puisse l'amour tomber en nous
pendant les sourires caressés
tout au long de tes lèvres
puisse l'amour tomber en nous
pendant que tu reviens
puisse l'amour tomber en nous
pendant que je me retiens
puisse l'amour tomber en nous
avec chaque larme du bonheur
d'avoir survécu à la mort
assez longtemps que pour voir
l'ancien-né
réincarner sa vie
dans les cris pures
du nouveau-né