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A part le nom et le numéro de la rue indiqués dessus, la façade orange ne laisse rien deviner des mets délicieux servis à l'intérieur. C'est le bouche à oreille qui est roi, même si J-M m'explique que cette stratégie a atteint ses limites.
En plus de devoir habituer son personnel à offrir un service impeccable, une partie de sa clientèle mange à credit. Heureusement que sa femme a reçu tous les avantages d'un contrat d'expatriée et arrive vendredi avec leurs deux filles. Il pourra donc se concentrer sur d'autres moyens de rendre son affaire rentable.
Comme promis une semaine plus tôt au téléphone, je fais une séance photo du chef en action. Un couple de clients enthousiasmé par notre petit manège se laisse prendre au jeu et pose également pour moi. J'ai hâte de rentrer chez mes parents et profiter du wi-fi pour publier mon cliché préféré sur Facebook et Twitter.
À peine digéré le met délicieux offert par J-M, je quitte son River Restaurant. La façade orange dans mon dos je regarde la clôture de l'école belge de Kinshasa et me souviens de l'année scolaire 1995-1996 que j'y ai passé avant de précipitamment quitter le pays. Il n'y a pas moyen plus persuasif qu'une tentative d'assassinat pour envoyer en exil toute une famille.
Guy me reconduit pendant que je compare la résilience de mes parents à celle des exilés politiques que j'ai rencontrés en Europe.
En attendant le journal télévisé de France 2, ma mère finit de regarder un film nigérian sur DSTV. Entre les deux programmes, je lui raconte la surprise de Tantine Nicole quand elle m'a vu, juste avant que je ne rejoigne Jean-Michel. Tantine Nicole, travaille chez Médecins Sans Frontières depuis une vingtaine d'années. Après une embrassade en bonne et due forme, on a parlé des questions essentielles : quand est-ce que je reviens m'installer au Congo et surtout quand est-ce que je me marrie ? Il m'a fallu avouer que le désir était bien présent mais la concrétisation, encore problématique.
Le journal français commence. Terrorisme, islamophobie et montées des amalgames font les gros titres. Il reste un peu de place pour les conséquences du coup d'état manqué en Turquie.
Les journaux congolais suivent.
Sur la Radio Télévision National Congolaise (RTNC), la speakerine décapée et perruquée annonce de façon dynamique divers reportages qui se succèdent avec un seul point commun : des éloges pompeux au président Joseph Kabila Kabange. Je me dis que niveau culte de la personnalité la RTNC doit être dans le top 5 mondial, pas trop loin des télévisions nationales nord-coréennes.
Sur le canal du Ministère Amen, c'est un autre culte qui fait quotidiennement l'actualité : celui des actions téléguidées par l'apôtre Léopold Mutumbo, qui est, entre parenthèse, propriétaire de la chaîne. Je ne pouvais pas mieux rêver comme inspiration d'un des personnages principaux du court-métrage que je réalise dans deux mois en Belgique.
Sur Digital Congo, la video du chanteur Koffi Olomidé agressant sa danseuse à l'aéroport international de Nairobi occupe l'écran.
Aucune des quatre chaînes ne parlent de l'imminent retour au pays d'Etienne Tshisekedi, célèbre doyen des opposants au président actuel de notre république dite démocratique.
Un silence lourd de sens.