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« J'aime le chocolat chaud
La vanille
L'Espérance et les voiliers étranges »
Jonathan Stone Engelinus
l'avion du haut du ciel file sur la nuée
cet après-midi entre lumière et pluie nous nous réunissons Pierre et moi
pour parler poésie
entre deux citations d'Empédocle de Francis Ponge ou de Jean Cocteau
la respiration se fait humide et lente
je regarde passer les beaux garçons mystère
il se fait comme un violon jaune dans l'air calme et frais
et là
près de la bouche de métro
il y a un homme
depuis tout à l'heure
depuis des jours
qui se tient debout
sentinelle saline du boulevard orphelin
un homme que la misère ploie comme arbre dans le vent
comme arbre oublié des âmes
par moment il se plie
et les oiseaux du monde chantent sur son épaule
discrets comme des aveux mouillés comme des pleurs
il a l'air saoul ivre noir
les gens passent autour de lui sans faire mine de le voir
on le dirait transparent simple reflet du malheur et des faces mortes
que sortent les gens quand ils vont en ville
même les chiens s'écartent de ce chat noir dans les yeux de qui luisent
les malédictions
il est jeune et sous la peau grise de sa faiblesse
on pourrait encore le croire beau
il se balance il plie
dans des incantations solitaires et nues
il ne demande jamais rien à personne
ni thune ni sibiche
seulement là
dans une solitude d'église au centre des passants
il va il vient
remuant un brouillard de tristesse et de résignation
les vêtements crasseux les souliers troués
son visage exhale une impression poussiéreuse d'ennui
et d'infinie perdition
il ne demande rien à personne
ou peut-être le droit de s'allonger sur le sol et de dormir un peu
moins sommeiller
rêver des pays doux de son enfance
des pays sucrés soleilleux de son enfance
mais les flics le lui refusent
soucieux de faire bonne impression sur les touristes qui se déplacent en bandes
sinon il ne se passe rien
voilà des enfants qui ripent à bord de leur skateboard
voilà des femmes qui rient de se voir si belles
voilà des hommes gras et chauves qui hurlent à propos de football
voilà les chiens meurtris de la mémoire
et les pays sucrés s'éloignent dans les avions
la poésie dont nous causons Pierre et moi est tourmente et feu
nul bon pain ne vient consoler l'homme qui peut-être écoute
le murmure de la chair se faire cendre et ruine dans sa façon de pencher
qui peut-être se souvient
du miel et des oranges qu'enfant il cueillait près des arbres clairs du matin
la poésie dont nous parlons est le silence qui m'a pris pendant des jours
au spectacle de cet homme navré que les pluies de ce printemps pourri
n'ont de cesse de noyer
un harmonica lointain dans le regard
je lui ai parlé pour finir
doucement
comme à un enfant malade je pense
il ne voulait rien de personne
ou peut-être le droit de rêver de se noyer de mourir
de se briser comme un vase de verre noir
la poésie est silence de vent dans les branches de l'amour
la poésie la poésie
est tout ce que je peux faire pour cet homme conscient de sa mort
plutôt que de sa vie
plage au centre-ville mouettes de l'enfer
silence silence noir
masque musique mulâtre
je rentre chez moi boitant comme un escalier pâle
bientôt que la nuit descend princesse vide